chantier Pol Roger avec grues

Pol Roger étoffe son site de production

La discrète maison de l’avenue de Champagne mène un impressionnant chantier en vue d’étendre son site de production. Et conforte sa position, unique, en centre-ville.

Impossible de rater les deux gigantesques grues surplombant les rues Godart-Roger et Winston-Churchill. Depuis plusieurs mois, les panneaux d’affichage, les camions et ouvriers gravitent autour du site de Pol-Roger. Laurent d’Harcourt, président du directoire, rechignait d’ailleurs quelque peu à évoquer cet important et indispensable chantier de la maison de champagne, visant à étendre et déménager en partie le site de production.
Plus de quatre ans de réflexion et d’études, environ deux ans de programmation de travaux en plein coeur de la capitale du champagne,
autour de 40millions d’euros: l’investissement pèse lourd et préoccupe logiquement le dirigeant et les familles Billy et Pol-Roger, propriétaires des lieux. « Maintenant que le chantier des fondations spéciales (lire ci-dessous) s’achève, on dort un peu mieux», sourit Laurent d’Harcourt, désormais plus à l’aise pour détailler le sujet.

RESTER EN VILLE

Depuis environ vingt ans, la maison a ,déjà beaucoup investi, « tout en réussissant à se désendetter », pour rénover la cuverie «désormais parfaite», disposant de cuves inox de 25 à 200 hi. Ceci fait, Pol Roger se trouve aujourd’hui un peu à l’étroit dans le bâtiment actuellement dédié au dégorgement, à l’habillage et aux expéditions. En 2019, la maison est montée jusqu’à 1,850 million de cols, « un record » (lire par ailleurs). Construit dans les années 1960, « bourré d’amiante », l’édifice n’a pas été conçu pour être surélevé et n’offrait donc pas tellement d’option de rénovation.
« Nous aurions pu choisir de faire un bâtiment à l’extérieur, poursuit Hubert de Billy, représentant la cinquième génération. Cela nous aurait peut-être coûté moins cher, plaisante t-il. Mais le meilleur choix était de conforter notre position ici, dans l’idée de continuer à tout centraliser ici. » Un choix audacieux, contraignant et unique puisque toutes les maisons de champagne de l’avenue ne disposent pas de leurs activités entières (de l’habillage au dégorgement en passant par le stockage et le service hospitalité) sur place. « C’est un projet pour les cinquante ans à venir»,
abonde Damien Cambres, chef de caves. D’autant plus que la maison s’apprête, d’ici quelques semaines, à accueillir et présenter la nouvelle génération.

CHANTIER ATYPIQUE

« C’est un chantier atypique car nous sommes dans une zone classée Unesco (avenue de Champagne) et autour de la tour De Castellane donc nous dépendons aussi de l’avis de l’architecte des bâtiments de France, continue Hubert de Billy. Mais tous ensemble, y compris avec le maire d’Épernay, nous avons discuté car nous voulions vraiment rester en ville. Il s’agit d’un vrai choix économique et philosophique mais aussi logistique et ergonomique. » L’actuel bâtiment d’expéditions, au 32, avenue de Champagne, va donc être détruit pendant qu’en lieu et place de jardins et potager de la maison, se construit un autre bâtiment sur quatre niveaux, endroit des caves. Quatre niveaux sont prévus : deux niveaux de galeries (existantes) et deux niveaux aériens dont une troisième nef (ou aile) (celle qui s’était éboulée en 1900, reconstruite «à l’identique») qui viendra compléter les deux autres situées rue Godart-Roger. La nouvelle cour d’expédition, à l’angle des rues Godart-Roger et Winston-Churchill, prendra
lieu et place à l’endroit même où une partie de la cour s’était effondrée en 1900. Avec ces nouvelles capacités, les lignes de production seront déménagées, en tout cas celles qui méritent de l’être, souligne le président du directoire. Surtout, ces travaux vont permettre de résoudre un problème
actuellement conséquent. « Nous n’avons pas assez de capacité de stockage pour les vins dégorgés. » Dès livraison, le volume de dégorgement, actuellement à 500 000 cols, passera à un million. « Cela nous donnera donc six mois à un an, par exemple, pour expédier les millésimes et cuvées Churchill. » De la souplesse pour répondre aux demandes des marchés.

QUE SONT LES FONDATIONS SPÉCIALES ?

« Ce chantier est spécifique car il s’agit d’une construction sur un terrain peu propice en raison de l’éboule ment survenu en 1900. Ce projet est atypique par sa technicité et sa complexité», indique Sylvain David, directeur secteur Champagne-Ardenne et Île-de-France de KS groupe pour Cical Synergies, contractant avec Pol-Roger. Le cabinet rémois d’architecte Pace, représenté par Hugo Pace, a avancé dès le départ avec le groupe pour concevoir les plans de ce marché « clé en main», assure Xavier Lambeaux, directeur général Cical et directeur de projet. Mais que sont ces fondations spéciales qui ont provoqué quelques nuits blanches aux familles et à la direction ? « 250 pieux ont été installés pour supporter le poids de la structure (sur quatre niveaux dont deux de caves), reprend Sylvain David.
C’est comme si nous avions un bâtiment sur pilotis. On a des caves qui se retrouvent autour des 15 mètres et les pieux sont à 30 mètres, traversant les pieds droits de ces caves, et supportent l’ensemble du bâtiment. Certains pieux, par exemple, peuvent prendre 250 tonnes. » Impressionnant par le nombre de pieux et son ampleur, ce fonctionnement n’est néanmoins pas inédit. «On peut aussi construire des écoles en installant des pieux moins nombreux et de diamètres différents. » Pour le chantier Pol-Roger, des tirants ont également été posés afin «de garantir le bon fonctionnement des travaux sans nuire atout l’environnement immédiat, dont la rue Godart-Roger», assure Xavier Lambeaux.

MILLÉSIMES
La visite de chantier était également l’occasion de découvrir les derniers millésimes de la maison. À commencer par le blanc de blancs 2013 (85 euros), « dernière année où on a vendangé en octobre », signale Damien Cambres, chef de caves. Un vin « tout en dentelle et en subtilité, qui fait saliver». Suit le vintage 2013 (65 euros), lancé en Grande-Bretagne cette semaine, aux saveurs miellées, de fleurs séchées, plus complexe. Enfin, le Sir Winston Churchill 2009 (210 euros), présenté d’abord, selon le rituel, à la famille. Un champagne à majorité de pinot noir, épicé, puissant, très expressif, à l’image de son inspiration.

Source : Claire HOHWEYER, l’UNION